Et si le LSD, les champignons hallucinogènes ou encore la MDMA pouvaient traiter la dépression? «C’est l’outil le plus puissant qu’on ait eu en psychiatrie», assure d’emblée Fabio Villa, médecin exerçant à Nyon et à Lausanne et qui propose une psychothérapie assistée par psychédéliques.

La méthode, aussi étrange qu’elle puisse paraître, se fait de plus en plus connaître. Outre la dépression, elle est utilisée dans le traitement de troubles obsessionnels compulsifs et des addictions. Mais a-t-elle réellement fait ses preuves? Pour le savoir, nous sommes allés en discuter avec des professionnels de la santé mentale.

Comment ça marche?

Le principe est assez simple. Le thérapeute propose des substances sous forme de cachets au patient. S’ensuivent de longues heures d’introspection pour ce dernier, et d’accompagnement pour le psychiatre.

«On peut revivre des expériences du passé, expérimenter des situations imaginaires. On garde les souvenirs de tout ce qu’on a vécu, ou presque», explique Fabio Villa.

La moitié des personnes que je suis ont connu des améliorations radicales. Il y a encore du boulot à faire pour l’autre moitié.

Fabio Villa, psychiatre à Nyon et Lausanne

Les effets sont variables d’une personne à une autre. «Parfois, la signification est évidente et la personne devient thérapeute d’elle-même. Et parfois c’est plus confus. Chaque patient répond de manière différente: certains font un vrai voyage, d’autres ont des sensations corporelles», complète-t-il.

Lexique
Les psychédéliques utilisés dans les psychothérapies sont des psychotropes très particuliers, car ces substances ont des propriétés hallucinogènes. Le plus connu est le LSD. Il provient, à l’origine, de l’ergot, un champignon poussant habituellement sur le seigle. Rentrent aussi dans cette catégorie les psilocybines contenues dans les champignons hallucinogènes. La MDMA, qui sert à fabriquer de l’ecstasy, est également un psychédélique puissant utilisé parfois dans le cadre de thérapies, même si elle peut induire une forme de dépendance psychologique.
Toutes ces substances sont illicites. Elles bénéficient néanmoins d’une autorisation médicale limitée accordée sur demande du médecin par l’Office fédéral de la santé publique.
Les effets des psychédéliques varient d’une personne à une autre. On parle en général de “trip” pour qualifier l’état d’une personne sous psychédélique. Ils produisent parfois ce que l’on appelle un “bad trip” (littéralement: mauvais voyage). C’est-à-dire que l’expérience peut réveiller des traumatismes ou provoquer des crises d’angoisse chez le patient.

«Certains de mes patients prenaient des antidépresseurs et faisaient des thérapies depuis 20 ans. Là, ça fait des mois qu’ils ne touchent plus à aucun médicament», constate le praticien.

Si les résultats sont encourageants, Fabio Villa tient à souligner que ce n’est pas un remède miracle pour autant. «Ce n’est pas toujours si spectaculaire. Pour l’instant, la moitié des personnes que je suis ont connu des améliorations radicales. Il y a encore du boulot à faire pour l’autre moitié», évalue-t-il.

Pas un moment de plaisir

Le but de la pratique n’est pas de traiter uniquement à l’aide des substances, comme cela pourrait être le cas avec des antidépresseurs. «Ce n’est pas une pharmacothérapie. C’est-à-dire qu’on ne donne pas seulement un médicament. Mais ça relance la psychothérapie. C’est ce qu’on appelle les phases d’intégration», illustre Daniele Zullino, chef du service d’addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

L’accompagnement demeure donc essentiel dans le processus. «Il faut bien suivre les patients, car la substance peut ouvrir certaines portes», ajoute Charles Scelles, directeur médical de la clinique psychiatrique La Métairie, à Nyon.

Le processus ne ménage pas le patient: «Le but de la thérapie n’est pas de passer un bon moment. Cet accompagnement pourra alors faire qu’un “bad trip” (voir encadré) devienne plutôt un “challenging trip” (réd: un voyage éprouvant)», relève Charles Scelles.

Fabio Villa, lui, appelle cet état «l’ombre». «Dans l’expérience thérapeutique, le “bad trip” n’existe pas vraiment, mais il y a un contact avec l’ombre. On peut l’expérimenter de manière très intense, mais on voit une évolution vers la lumière. Parfois, il faut plonger là-dedans», estime Fabio Villa.

Des drogues pas addictives

Les psychédéliques souffrent d’une image peu élogieuse en Suisse et sont considérés, légalement parlant, comme des drogues. Alors, qu’en est-il des risques? Christian Lüscher, neuroscientifique à l’Université de Genève (Unige), tient cependant à rassurer les esprits: «Ils ne sont pas addictifs.»

«Ils changent la perception du monde de façon très importante, sans induire cet état de recherche compulsive», poursuit-il. Maxime Mellina, responsable du pôle formation pour le Groupement romand d’études des addictions, nous a également confirmé «qu’utilisées dans le bon contexte, ces substances sont très peu dangereuses».

Ils «font partie de la culture suisse»
En outre, avant leur interdiction, les psychédéliques étaient déjà étudiés. «Ce n’est que depuis une dizaine d’années que l’on peut vraiment refaire des recherches. La Suisse a une législation qui permet de faire ça de manière contrôlée», explique Maxime Mellina. Sans oublier que notre pays a une histoire particulière avec ces substances.
«On n’en parle plus depuis la prohibition, mais les champignons hallucinogènes poussent dans le Jura. Cette tradition a perduré.» Rappelons par ailleurs que le LSD a été découvert en Suisse, à Bâle pour être plus précis, en 1938. «Ces produits font partie de la culture suisse», poursuit Maxime Mellina.
Albert Hoffmann, qui travaillait pour le laboratoire Sandoz, étudiait l’ergot de seigle pour le traitement de maladies cardiaques. C’est le premier à avoir connu, accidentellement, un “trip” au LSD. Par la suite, dans les années septante, ces substances ont été interdites.

Fabio Villa avertit cependant qu’il existe un faible risque de «dépendance psychologique» lié à la consommation de MDMA. «C’est une molécule à cheval entre les psychédéliques et les substances addictives», confirme Christian Lüscher.

Certains professionnels alertent tout de même sur des dangers potentiels. «Chez les jeunes qui prennent du LSD, on voit apparaître des cas de schizophrénie. Chez des personnes prédisposées, ces substances peuvent être associées au déclenchement des psychoses. Même si les études sont plutôt rassurantes sur ce point», nuance Jean-Bernard Daeppen, chef du Service de médecine des addictions du Centre hospitalier universitaire vaudois (Chuv).

L’efficacité de ces traitements n’est pas formellement démontrée.

Jean-Bernard Daeppen, chef du Service de médecine des addictions au Chuv

Autre point de vigilance: «L’efficacité de ces traitements n’est pas formellement démontrée. Cela ne signifie pas que ces traitements sont inefficaces. Cela signifie que nous ne savons pas aujourd’hui s’ils le sont. Au Département de psychiatrie du Chuv, nous sommes réservés sur la question et attendons les résultats de nombreuses études en cours», ajoute Jean-Bernard Daeppen.

Une recherche peu fiable?

En cause, les méthodes de recherche. Les études pharmacologiques utilisent habituellement des placebos afin de tester l’efficacité des médicaments, sans que le patient ni le thérapeute sachent s’ils prennent la substance active ou ledit placebo. Or, dans le cas des études testant les psychédéliques, les patients et les thérapeutes devinent facilement si le patient a reçu la substance active ou le placebo.

«Les patients et les médecins qui administrent ces traitements sont très enthousiastes, ils ont souvent des croyances très fortes dans l’efficacité de ces traitements. Cette situation est dangereuse sur le plan de la neutralité scientifique nécessaire à l’évaluation de ces traitements prometteurs mais pas anodins. La plus grande prudence s’impose», conclut ce professionnel de santé.

Thérapie assistée par MDMA: «ce n’est pas magique, mais je vais de mieux en mieux»

Thomas suit une psychothérapie assistée par psychédélique depuis huit mois. Ce Vaudois a constaté de réels changements dans son quotidien. Témoignage.