Depuis juillet et après plus de dix ans de procédures administratives, le projet de géothermie profonde sur la commune de Haute-Sorne, dans le Jura, prend forme.

Alors que les premières mesures ont été effectuées cet été sur le site, à proximité de Bassecourt, Berlincourt et Glovelier, les craintes de la population se font toujours plus vives. Les habitants redoutent notamment pollutions environnementales et tremblements de terre.

Chef du projet pour la société Géo-Energie Suisse, Olivier Zingg se veut rassurant. S’il convient que le risque zéro n’existe pas, il rappelle que tout est mis en place pour limiter les dangers au maximum. Interview.

Lors du choix du site, le critère de la densité de la population a-t-il joué un rôle?

Ce sont d’abord des critères géologiques et de sécurité qui ont été considérés. Après Bâle, il était cependant clair qu’un prochain projet pilote ne se réaliserait plus directement sous l’une des plus grandes villes de Suisse.

Parce que les dommages, même superficiels – et avec eux les sommes d’assurance engagées – se multiplient avec le nombre de bâtiments qui peuvent être touchés.

En revanche, nous avons dû évaluer le risque individuel et démontrer qu’il était acceptable pour chaque personne. Les critères d’acceptabilité sont les mêmes qu’une personne soit seule au milieu d’un champ ou entourée de milliers d’autres.

Un rapport du Service sismologique suisse (SED) de 2019 estime que le séisme de Pohang en 2017 – d’une magnitude de 5.5 – a révélé «les limites de la capacité des scientifiques et ingénieurs à comprendre et prévoir l’évolution détaillée et le timing des tremblements de terre induits». Un constat qui n’est pas vraiment rassurant…

Il ne s’agit en effet pas d’une mécanique exacte, mais d’un système naturel complexe. Nous pouvons l’étudier et essayer de le comprendre au mieux, mais nous n’aurons jamais de connaissances absolues.

Dans son rapport, le SED ne dit pas qu’il ne faut pas mettre en œuvre ce genre de projet, mais qu’il faut prendre beaucoup de précautions.

En l’occurrence, il conclut que notre concept d’évaluation et de gestion des risques en Haute-Sorne est suffisamment solide pour lancer la phase d’exploration. Enfin, pour couvrir le risque résiduel, nous avons mis en place un mécanisme d’assurance.

Le mouvement Citoyens Responsables Jura (CRJ), principal opposant au projet, estime cependant que la somme d’assurance couverte, 100 millions de francs, est «ridicule en regard de la zone potentiellement impactée».

Cette somme a été fixée par le canton, sur la base d’études de risques validées par le SED. Elle comprend une très grande marge de sécurité. Il faut savoir que les risques principaux dont on parle sont des dommages cosmétiques, telles des fissures dans le crépi, comme on a pu le voir à Bâle.

En quoi consiste la phase d’exploration en cours?

Nous allons mener des campagnes de mesures géophysiques pour obtenir la meilleure image possible du sous-sol. Au printemps prochain, nous procéderons au premier forage, à une profondeur de 4000 m, qui nous permettra d’en savoir encore plus.

Le forage peut-il générer un tremblement de terre?

Non, le risque de sismicité est à peu près nul durant le forage et très limité durant les tests de stimulation qui suivront.

Durant quelle phase le risque sismique est-il le plus élevé?

Lors de la «stimulation principale», c’est-à-dire au moment où nous provoquons de petits mouvements de fissures pour développer le réservoir géothermique. Cette deuxième étape n’aura pas lieu avant 2026.

Dans quelles circonstances le projet peut-il être interrompu?

Il peut être arrêté à tout moment, notamment si les conditions changent et ne semblent plus adaptées. Pour l’instant, le gouvernement jurassien a donné son feu vert pour la phase exploratoire, qui va durer jusqu’à fin 2025.

Ensuite, toutes les données acquises seront analysées et l’étude de risques réévaluée. Sur cette base, le gouvernement décidera si le projet peut continuer ou non.

Le «risque zéro» n’est-il pas le seul acceptable?

Comme pour toute autre activité, c’est une question de pesée des intérêts. De notre point de vue, les bénéfices dépassent largement les risques, ce qu’a confirmé le Tribunal fédéral.

L’enjeu est de pouvoir produire de l’énergie renouvelable, propre, locale, indigène, sans émission de CO2, pour l’électricité et pour le chauffage.

Le potentiel de la géothermie est gigantesque: la Confédération souhaite qu’elle contribue à la stratégie énergétique 2050 à hauteur de 2 térawatt-heures par an. Il faudrait une cinquantaine de centrales géothermiques d’ici 25 ans pour y parvenir.

Quel serait votre pire cauchemar: que le projet s’arrête avant d’avoir pu tester votre technologie ou qu’il se finalise mais confirme les craintes des opposants?

Le pire scénario serait, bien sûr, que le projet cause des dommages environnementaux ou des dégâts. S’il doit être arrêté pour des raisons techniques, nous en prendrons acte.

Au moins, nous aurons essayé et l’industrie suisse pourra consacrer son énergie ailleurs. Nous saurons alors que cette technologie n’est pas une voie pour la Suisse – et le plus tôt nous le savons, le mieux c’est.

Après Bâle et St-Gall, ne peut-on pas déjà l’affirmer?

Bâle et Saint-Gall nous ont beaucoup appris, mais n’ont pas apporté de réponse définitive quant à la possibilité de développer la géothermie profonde en Suisse.

Si cela avait été le cas, personne ne se serait engagé à investir de l’argent et jamais l’Office fédéral de l’énergie n’aurait soutenu le projet.

Reste que certains habitants ont le sentiment de servir de cobayes…

Je peux comprendre cette peur. Mais nous ne sommes pas des apprentis sorciers, bien au contraire! Tout est mis en œuvre pour réduire les risques au maximum.

Et refuser tout risque, c’est aussi oublier que d’autres en ont porté et en portent encore aujourd’hui pour produire l’énergie du pays, notamment avec les barrages ou le nucléaire. Face au changement climatique et pour l’approvisionnement énergétique, le plus grand risque aujourd’hui, c’est de ne rien faire.

Géothermie dans le Jura: début du chantier à Haute-Sorne

Le projet controversé de géothermie profonde à Haute-Sorne, dans le canton du Jura, va de l'avant. Les travaux d'aménagement du site de forage ont débuté mercredi. Il s'agit pour l'instant de travaux préparatoires.